Mercredi 27 juin (6ème année de guerre)

Les récents événements firent que je ne pu dormir cette nuit. Vidée de toute vitalité et puisant ma force de je ne sais où, je me rendis péniblement en cours. Les mots de professeur Détestable ce jour-ci me passèrent bien au dessus de la tête. « Un démon » ... c'était impossible, finalement, qu'il en soit réellement un. Où sont ses ailes ? Et qu'en est-il de son aura ? Je ne savais plus quoi penser. Je voulais aller lui parler, mais je sens que je n'arriverai pas à garder mon calme très longtemps. Dans deux jours, c'était les vacances d'été, dans trois jours, je partais un mois en mission dans la brigade spéciale de l'armée. C'est toujours au moment où j'ai le plus besoin de temps qu'il vient cruellement à manquer. La sonnerie annonçant la fin du cours retentit enfin. Dans un brouhaha de raclement de chaises et de discussions, la salle de cours se vida rapidement, ne restant plus que moi et Shu. Il avait semblé m'attendre, et avant de se retourner pour partir, il me lança un long regard persistant auquel je ne su comment répondre. Qu'est-ce qu'il me veut à la fin ?

De retour dans ma chambre, j'aurais tant voulu me reposer, mais le club de bô-justu m'attendait. Sans même prendre la peine de manger un déjeuner, je me rendis directement dans la salle, il fallait que je me défoule un peu. La salle était vide. Il restait une demi-heure avant que le cours ne commence. Après avoir sorti en avance tout le matériel, je brandis avec fermeté un bâton d'entrainement et fit quelques mouvements. Puissance, précision, équilibre ... ne penser à rien d'autre qu'à ce que je faisais ; se concentrer pleinement dans chacune de mes actions, oublier tout le reste, faire le vide ... Des pas résonnèrent dans la salle, me sortant de ma transe. Pourtant, je n'avais pressenti aucune présence. Shu.
-Il faudrait que je te parle ... me dit-il, mais il n'alla pas au bout de sa phrase, me voyant approcher de lui à vive allure, le regard plein d'animosité.
Sans lui décrocher un seul mot, je saisis le bâton d'entrainement le plus proche et lui tendit d'un air déterminé en le regardant dans les yeux, lui jetant un regard de défi.
-Je ne suis pas venu pour ça, me répond-t-il d'un ton doux.
-Je m'en fiche ! Rétorquais-je sèchement. Je veux ma vengeance de la dernière fois. Je veux aussi ma vengeance d'hier, et pour tout ce que tu m'as fait jusqu'à aujourd'hui.
Je sentais mon sang bouillir dans chaque parcelle de mon corps, ma colère était telle que j'étais prête à éclater la première personne qui apparaitrait dans mon champ de vision. Si Shu était vraiment un démon, il devrait pouvoir se sortir indemne de ce duel, car je ne comptais pas me retenir une seule seconde, j'avais d'ailleurs déjà libéré tous mes pouvoirs et il a pu clairement le constater en observant la couleur de mes yeux virer au noir. Avant de lui parler, il fallait que je me calme, telle était la raison de ce combat.

Voyant qu'il n'était vraiment pas décidé à combattre, je lui balançais le bâton d'entrainement qu'il rattrapa avec adresse.
-Bats-toi ! Hurlais-je désespérément.
Et sans lui laisser le temps de réfléchir, je l'attaquais. Des coups faciles à parer, mais dans lesquels je mettais toute ma force dans l'espoir de m'épuiser. Je l'accablais de coups, sans lui laisser une seule chance de contre-attaquer. N'ayant pas encore déployé ses pouvoirs, je le sentais clairement peiner, mais je ne voulais avoir aucune pitié envers lui.
-Déploie tes pouvoirs ! lui lançais-je avec force. Défends-toi avec tes pouvoirs de démon dont tu es si fier ! Raillais-je.
-Non, je refuse de me battre sérieusement contre toi.
Son attitude depuis aujourd'hui était vraiment étrange par rapport à d'habitude, comme s'il avait commis une énorme bévue sans savoir comment la rattraper. Mais ça n'était pas le temps des regrets.
-Depuis le début, tu ne m'as jamais aimée ... lui déclarais-je dans l'espoir de le provoquer, ce qui marcha plutôt bien.
-Pourquoi tu dis ça ? S'étonna Shu, limite choqué, tout en parant habilement le coup bas que je failli lui affliger aux chevilles.
-Depuis le début, tu m'as appâtée à toi, tu m'as attirée à toi jusqu'à ce que je tombe dans tes bras et que je t'accorde toute ma confiance ...
-Arrête ... me coupa-t-il, mais je ne le laissa pas continuer sa phrase.
-tu as même été jusqu'à coucher avec moi ! M'époumonais-je. Tu t'es constamment joué de moi, tu m'as abusée ... finalement, tu ne vaux pas plus que les autres hommes sur cette Terre.
-C'est faux ! S'énerva subitement Shu, excédé de tout ce que je lui débitais. C'est faux ... répéta-t-il dans un souffle. S'il te plait, ne pense pas ça, tu te trompes sur toute la ligne, laisse-moi t'expliquer ...
-M'expliquer quoi ? Je n'ai pas besoin d'explications, j'ai tout compris par moi-même.
Sans m'en rendre compte, nous nous étions arrêté de se taper l'un sur l'autre, laissant entre nous quelques mètres de distance. Néanmoins, je tenais toujours aussi fermement mon bâton d'entraînement, comme prête à bondir au moindre assaut adverse. Un brutal silence s'installa, que Shu rompit net en laissant tomber son bâton au sol. L'impact résonna dans toute la salle. Nos regards se croisèrent, s'accrochèrent et ne se lâchèrent plus. Je me sentis complètement désemparée sous le poids du regard rempli de désespoir de Shu. Avec un tel regard si sincère, impossible qu'il m'ait menti. Profitant de cette ouverture, il tenta un approche, mais mes réflexes me firent réagir de manière vive et brutale. Bien qu'il soit totalement désarmé, je le frappais sans remord de toutes mes forces à l'avant bras. Mais il ne recula pas pour autant.
-Va-t-en ! Laisse-moi tranquille ! Ne m'approche pas ! Lui ordonnais-je en vain, tout en continuant à le frapper.
Un ultime coup à la tête le secoua fortement, lui faisant perdre l'équilibre et poser les genoux à terre. Mon corps tout entier tremblait. Je ne savais même pas exactement pourquoi je réagissais comme ça, sachant pertinemment qu'il n'allait pas me faire de mal. J'étais tellement en colère, il m'avait fait tellement souffrir que je voulais qu'il subisse la même chose. Mais ce que je ne savais peut-être pas, c'est que de son côté, il avait autant souffert que moi, depuis le début, et même sans doute avant. Même si nous étions chacun l'opposé de l'autre, Ange et Démon, la souffrance nous rapprochait plus que quiconque ; et je ne pouvais pas aller à l'encontre de mes sentiments : je l'aimais. Quoi qu'il me fasse, quoi qu'il me dise, cet amour restera inébranlable dans mon coeur, je le sentais. En ce moment même, je l'aimais plus que tout, et à le voir par terre dans cet état me faisait terriblement mal, et encore plus en sachant que j'en étais la seule et unique responsable.

J'avais visiblement atteint ma limite, je sentis mes pouvoirs quitter mon corps, le rendant subitement très lourd, voir même insoutenable. Je me retrouvais à présent dans la même position, dans la même situation que Shu, à son niveau. Nos regards dépourvus de toute animosité s'attirèrent inébranlablement, et je tombais dans ses bras.
-Je t'aime ... lui murmurais-je, la tête posée au creux de son épaule.
-Si pour toi m'aimer signifie me frapper à mort et me parler de manière cruelle, il faudrait vraiment que tu revois ta conception de l'amour ... ironisa-t-il, un sourire invisible en coin.
Le cours de bô-justu étant théoriquement commencé depuis dix minutes, tous les élèves étaient là, à la porte de la salle, ébahis devant toute la violence auxquels ils venaient d'assister. Nous ne nous ne étions même pas rendu compte jusqu'à maintenant.
-Le cours est annulé, vous pouvez partir ! Lança Shu d'un air autoritaire et nonchalant qui ne prête pas à discuter.
Dans un silence de mort, et sans qu'aucun ne proteste, ils s'en allèrent, sortant les uns après les autres par la porte principale.
-Shu ... mes ailes ... gémissais-je faiblement.
L'espace clos le plus proche était la salle de douches, que nous nous empressâmes de rejoindre le plus rapidement possible. Des vagues de douleur semblables à la dernière fois que j'eus une vision ressurgirent. Puis cette vision elle-même réapparut, de manière encore plus nette que la dernière fois ; plus longtemps aussi. Je pus l'analyser clairement, et m'enlever tout doute de la tête : c'était bien Shu. Cette vision provenait d'un de mes souvenirs enfouis et oubliés. Mes ailes poussèrent et furent encore plus grandes que la dernière fois. Je ne compris pas pourquoi. Mais plus important, Shu était appuyé au rebord d'un robinet, tremblant, une main sur sa tempe ensanglantée. Lui qui avait peur du sang ... Je me relevais tant bien que mal pour aller l'aider.
-Shu, tout va bien, le rassurais-je en posant doucement une main sur la sienne. Ferme les yeux, déshabille-toi, passe sous la douche et ...
Je ne pus finir ma phrase. Je le sentais étrangement vacillant. Le coup que je lui avais porté avait du affecter son cerveau et son sens de l'équilibre devait être perturbé. Sans plus attendre, je le poussais dans la cabine de douche la plus proche, moi avec, et fit couler l'eau jusqu'à ce qu'il se sente mieux. Il reprit rapidement ses esprits. À observer de plus près sa blessure, elle n'était que superficielle en apparence extérieure, et s'arrêta très rapidement de saigner. Lorsqu'il rouvrit les yeux, il sembla parfaitement rétabli.
-Que ... Qu'est-ce que tu fais ?
-Tes habits sont trempés, me répondit Shu le plus naturellement du monde, ça n'a aucun intérêt de les garder ...
-Toi non plus dans ce cas là ...
-Tu me fais toujours confiance ? Me demande-t-il en ouvrant la fermeture éclair de ma jupe.
-Bien sûr ... lui affirmais-je en déboutonnant sa chemise. Dis-moi, pourquoi es-tu dans mes souvenirs ?
-Parce que j'en fais partie ... m'avoua-t-il en faisant glisser ma jupe le long de mes jambes.
-Pourquoi ne m'as-tu pas tué si tu es un démon, car je suis un ange, une gêne pour vous en d'autres termes ? L'interrogeais-je en défaisant la boucle de sa ceinture.
-Parce que je t'aime ... me déclara-t-il en faisant passer mon pullover par dessus ma tête.
-Pourquoi n'as-tu pas une aura comme les autres démons ? Le questionnais-je en laissant tomber son pantalon à ses pieds.
-C'est ... compliqué, conclut-il, avant de me prendre dans ses bras.
-Raconte-moi tout.
-Après ... promis.